Le percussions de Treffort: 50 Oeuvres 50 Compositeurs – Alain Goudard

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Les Percussions de Treffort : Des musiciens en situation de handicap formés au sein d’un ESAT pour devenir des artistes complets

Voilà déjà plus de 40 ans que les sons des Percussions de Treffort résonnent dans le studio de l’établissement d’aide par le travail de Treffort, dans l’Ain, mais aussi sur de nombreux lieux de spectacle en France et à l’étranger. Derrière cette compagnie aux créations authentiques et originales, on trouve des musiciens en situation de handicap passionnés et soucieux de conquérir le public le plus large possible, tout en s’accomplissant auprès de professionnels et amateurs venus de tous horizons. Nous sommes allés à la rencontre de Christian Seux, Mathieu Convert et Dominique Bataillard, musiciens du groupe « Les Percussions de Treffort », accompagnés d’Alain Goudard, directeur artistique de la structure culturelle Résonance contemporaine et des Percussions de Treffort, et de Jean-Pierre Barbosa Da Silva, éducateur et musicien membre des Percussions de Treffort.

Les Percussions de Treffort, qu’est-ce que c’est ?

Christian Seux : C’est un groupe de musiciens en situation de handicap créé il y a 40 ans et qui a fait du chemin. Moi-même, en tant que musicien, cela fait une dizaine d’années que j’y ai pris part. Certains des anciens membres ont arrêté ou sont à la retraite mais viennent de temps en temps.

Depuis 2015, nous avons reçu le statut de musiciens professionnels. Nous sommes quatre musiciens à plein temps : Dominique, Matthieu, Louis, et moi-même. Trois autres personnes travaillent à mi-temps avec nous : Franck Jacquet, Daniel Comte et Jean-Claude Chaduc, qui font partie du groupe et participent aux différents spectacles. Pour nous, c’est la musique qui compte. Nous faisons des spectacles musicaux et théâtraux, et nous enregistrons des cd.

Alain Goudard : Jean-Claude Chaduc et Daniel Comte font partie des fondateurs du groupe et ont permis à cette génération de perdurer depuis 1979. Le groupe des Percussions de Treffort a été créé dans l’Ain, à Bourg-en-Bresse. Il est né d’une collaboration entre Résonance contemporaine – une structure culturelle – l’ADAPEI de l’Ain en tant que structure générale, et l’établissement d’aide par le travail de Treffort qui dépend de cette structure. C’est donc vraiment une collaboration entre une structure du médico-social et une structure culturelle, avec tout ce que cela comporte de voyages, de tensions, de modifications, d’apprentissage de l’un, de l’autre, de difficultés de tous ordres… parce qu’on est à la fois dans deux mondes qui fonctionnent différemment. Mais le mélange de ces deux mondes correspond à une idée qui nous est chère : « Être ensemble et faire ensemble ». Le centre d’aide par le travail de Treffort est l’un des endroits essentiels où il est intéressant de travailler, c’est un très bon espace de démonstration et de rencontres de différents publics.
L’ensemble des musiciens en situation de handicap résident donc dans un établissement d’aide par le travail (ESAT) qui dépend de l’Adapei de l’Ain. Au départ, en 1979, un éducateur lui-même musicien dans ses temps de loisirs, a voulu partager des temps de musique avec les résidents, après son temps de travail. Lorsque celui-ci est parti, le directeur de l’époque, Bernard Chevallier, a cherché une solution pour pouvoir poursuivre ce travail musical et aller plus loin. C’est ainsi que la rencontre s’est faîte, pour ma part en tout cas, avec l’établissement et les personnes qui étaient déjà intégrées dans cette aventure musicale.

Quel est le style de musique adopté par les Percussions de Treffort ?

Christian : Comme son nom l’indique, le groupe fait des percussions. Il y a aussi du chant, des sons électroniques, de la guitare électrique… des instruments et styles très variés selon les partitions que nous envoient les compositeurs avec lesquels nous travaillons. D’ailleurs, lorsque nous enregistrons un cd, nous invitons parfois les compositeurs, lorsqu’ils peuvent venir, à assister aux séances d’enregistrement. Ils peuvent nous conseiller et donner leur avis, qui en général est très positif.

Alain : Ce qui nous a semblé intéressant c’est que la création pouvait être une porte d’entrée, à travers les percussions. La voix peut en faire partie, d’autres instruments aussi, y compris des objets détournés. Quelquefois d’autres instrumentistes nous rejoignent, des soufflants, des chanteurs, des comédiens… Cela nous permet en tout cas de partir des potentialités présentes en chacun et justement de construire un univers musical où chacun est pleinement musicien et assume toutes les choses qu’il a à faire.

Pouvez-vous citer des instruments que vous utilisez régulièrement ?

Matthieu Convert : Nous avons le marimba (xylophone africain), les percussions avec la grosse caisse de concert, un balafon, des congas (tambours Congo), des bongos (doubles tambours) …  Il y a aussi des djembés, des tambours chinois, des derboukas (instrument que l’on va retrouver en Algérie, Tunisie, Égypte, et au Maroc), une guitare électrique…

Jean-Pierre Barbosa da Silva : Il y a aussi des ballons de baudruche, de la vaisselle, des casseroles, des cailloux… tous types d’outils ou de matériaux peuvent être utilisés. Il n’y a pas d’instrument plus gratifiant qu’un autre.

Alain : Tout cela permet aussi de faire sentir et de prendre conscience que l’essentiel n’est pas l’instrument en tant que tel mais le rapport au son que l’on va avoir, plutôt que la représentation instrumentale de ce son. Une fois que l’on a balayé ces représentations pour tel ou tel type de son, cela ne pose plus de problème à personne de faire de la musique avec un ballon de baudruche. C’est aussi intéressant que de jouer sur le marimba. Pour cela aussi, beaucoup de musiciens et compositeurs extérieurs nous ont aidés à cette prise de conscience et à la désacralisation de l’instrument en tant que tel. C’est cela la rencontre avec le son. Nous avons notamment passé du temps avec l’artiste Alfred Spirli, qui travaille sur le détournement des objets, et qui nous a permis de voir comment des objets du quotidien peuvent devenir de véritables instruments.

Dominique Bataillard : Il y a aussi le compositeur, sculpteur et performeur Will Menter qui nous fait travailler à l’extérieur, sur du bois, de la pierre… et avec les différents éléments de la nature.

Christian : Oui… Will Menter utilise aussi beaucoup le vent. Il a une sculpture à Bourg-en-Bresse composée de lamelles de bois qui délivrent des mélodies en s’entrechoquant. Le son est naturel et très beau. Nous apprécions beaucoup cet artiste qui fait des choses auxquelles peu de personnes penseraient. Et de manière générale nous prenons beaucoup de plaisir à échanger et à jouer avec tous les artistes que l’on rencontre.

Est-ce qu’il arrive que l’un des musiciens en situation de handicap du groupe compose lui-même un morceau ?

Alain : Cela fait partie des choses sur lesquelles ils vont travailler par la suite.
Nous avons beaucoup parlé de l’axe « compositeur » qui veut dire « interprète », mais le souci permanent est aussi de faire en sorte que ces musiciens en situation de handicap puissent devenir autonomes, dans le discours musical qu’ils interprètent, mais aussi pour que cette autonomie soit au service de leurs pensées, de ce qu’ils ont envie de restituer et de faire. Partir des potentialités est quelque chose d’essentiel, les faire germer, les faire aller, oser… que chacun apprenne toutes les dimensions de ce métier. Et puis, c’est aussi quelque chose d’important, dans ce parcours, d’entrevoir les pratiques artistiques pour des publics spécifiques. Pour nous il n’y a pas de musique spécifique pour un public spécifique. Du coup, se rapprocher de ceux et de celles qui interprètent la création ou qui l’écrivent, est une donnée extrêmement importante… car le but que l’on recherche c’est de se mélanger aux autres, d’être avec les autres, de faire avec les autres, et donc de partager une musique que d’autres font par ailleurs. Et on se retrouve, avec d’autres, à défendre cette musique.

Dans ce cadre, les compositeurs sont précieux, bien sûr, parce que tout au long du parcours ils vont venir nourrir les séances et voir où nous en sommes, nous donner d’autres ouvertures, enrichir encore notre savoir musical. De la même manière, de nombreux interprètes, qui n’ont pas forcément écrit des musiques pour nous, sont venus jouer avec nous et contribuent également à donner les autonomies, l’aisance musicale du groupe et ouvrir en permanence d’autres possibles.

Comment ces compositeurs ont-ils entendu parler de vous ?

Alain : Parfois il y a des sollicitations de notre part, quelquefois ce sont des responsables des lieux qui nous accueillent qui nous proposent de travailler avec leurs compositeurs. Et puis après, effectivement, d’autres, entendant parler, ou connaissant après nous avoir vus en concert, vont être intéressés pour nous proposer des choses, et vont parfois nous écrire des morceaux.

Quelles sont les différentes activités sur lesquelles repose la formation des musiciens ?

Alain : Concrètement nous formons des musiciens qui travaillent dans la permanence, sans être passés par un cycle de conservatoire, ou par les lieux habituels de formation à la musique. Mais par contre il y a une nécessité – et c’est le travail dans la durée qui l’impose – c’est que le musicien doit développer un certain nombre de compétences pour pouvoir être au service de ce qu’il aura besoin de faire. Être dans son corps – c’est aussi quelque chose de très important – travailler avec des danseurs, des agréés, travailler sur la relation au corps… Il y a donc des cours de danse réguliers. Il y a aussi des cours au niveau de la voix, avec une intervenante spécifique – Fanny Duchet – qui vient faire un travail collectif ou individuel avec les musiciens, il y a également des ateliers d’écriture. Chacun découvre ses potentialités. Tout ce qui va constituer la formation permanente. Aujourd’hui ils sont à 35 heures musique par semaine, avec ces cours, et des répétitions.

Matthieu : Le travail de la voix nous apporte beaucoup, c’est quelque chose d’important dans la formation. Notre intervenante vient deux à trois fois par mois pour des ateliers de trois heures environ.

Alain : Fanny Duchet intervient également dans les spectacles pour faire en sorte que le groupe joue sur l’idée de mélange. L’objectif c’est aussi de tourner autour du concept d’être ensemble, à plusieurs. Du coup il faut que cela se concrétise également sur le plateau, ce qui implique ce travail de mélange, avec des musiciens qui interviennent régulièrement. Soit au travers de spectacles, soit au travers de différentes productions que nous pouvons avoir… Certains musiciens ont travaillé avec nous pendant 15 ans, puis d’autres équipes ont pris le relais. Cela peut s’apparenter à une sorte de compagnonnage avec la transmission de connaissances et le partage d’expérience. C’est aussi grâce au fait que l’on travaille ensemble dans la durée que la confiance, la réciprocité, et les « oser faire » vont pouvoir naître. C’est de la valeur humaine, qui est fragile et qui met du temps à se construire, et cela demande à être réactivé en permanence pour qu’il y ait une vraie création de compagnie.

Jean-Pierre : Pour ma part, j’anime les ateliers d’écriture et de danse. Faire 35 heures de travail et de répétition chaque semaine, c’est long si on ne fait que de la musique en tant que telle.
La musique, ce n’est pas que des notes, c’est aussi du corps, le fait de bouger et d’actionner des baguettes, aller vers un instrument, savoir comment l’aborder… C’est aussi les déplacements, la manière dont on occupe l’espace lorsque l’on est sur une scène ou sur un plateau. Le but est donc d’aborder tous ces sujets en passant par la danse.
Puis la musique, c’est aussi de la création, le développement de l’imaginaire, la recherche des mots… ce qui fait l’objet des ateliers d’écriture. Nous jouons avec les mots, avec la pensée, l’imagination. Il est important que les musiciens réalisent qu’ils ont le droit d’écrire et que leur pensée est intéressante. Surtout les autoriser à parler, à s’exprimer avec les mots parlés ou écrits, et avec le corps. On pense souvent qu’un danseur doit obligatoirement avoir un corps parfait ou athlétique… mais pas du tout ! Toute personne est à même de bouger et d’exprimer ses pensées, cela fait partie de la musique.
Je crois que cela a ouvert des espaces de liberté, y compris musicaux. Chacun entre dans la musique de manière différente. De nombreuses portes ont été ouvertes et je pense qu’il y en a encore beaucoup d’autres à découvrir. À nous d’être imaginatifs.

Christian : Parfois nous commençons un atelier en choisissant chacun un thème de réflexion. Par exemple cela peut être le stress que l’on ressent une fois sur la scène, comment on le vit. Cela peut être les voyages, lorsque l’on part en déplacement pour un spectacle, quelquefois assez loin – nous sommes d’ailleurs récemment partis à Florence en Italie et c’était un très bon moment.
Ce que je trouve important ce sont les différences entre chacun de nous dans le groupe, et le fait que l’on puisse exprimer ces différences devant le public dit « normal » en tant que musiciens.

À quels publics s’adressent vos spectacles ? Et à quelles occasions vous produisez-vous ?

Alain : Nous sommes invités de temps en temps dans des manifestations et lieux qui partent au départ d’associations liées au handicap, mais pour nous ce n’est vraiment pas l’essentiel. Le plus important va être au contraire d’aller vers un public le plus élargi possible, pour nous permettre de décloisonner, de montrer de nouveaux rapports esthétiques et de faire partager ces compositions au plus grand nombre. Nous devons multiplier les espaces de démonstration. Du coup nous intervenons aujourd’hui dans des contextes très variés : une scène conventionnée, une scène nationale, un festival de musique contemporaine en France ou à l’étranger… ou des travaux avec des enfants, comme l’année dernière lorsque nous sommes allées à la scène nationale de Forbach pour faire un travail de création avec élèves de 6e et 5e.
Un autre aspect important est de savoir comment on va continuer, en allant dans ces différents lieux de spectacles, à ouvrir ces espaces à ce type de musique et de musiciens, et à faire passer le message : « finalement on est comme les autres artistes, on fait le même travail ». Il s’agit de matérialiser ce concept d’être ensemble. Être présent dans ces lieux habituels ou inhabituels de diffusion va y contribuer, créer une reconnaissance et permettre des rencontres constructives au fil du temps.

Pouvez-vous nous parler de l’album que vous enregistrez en ce moment ?

Alain : Le groupe des Percussions de Treffort existe depuis plus de 40 ans et au fil des années un répertoire assez varié s’est constitué avec le passage des différents musiciens en situation de handicap. L’idée aujourd’hui consiste à revisiter les différences pièces qui ont été écrites durant tout ce parcours, en les retravaillant et en les réenregistrant une à une. Comme il y a beaucoup d’œuvres, environ 50, cela nécessite d’enregistrer plusieurs disques pour pouvoir en restituer l’ensemble. Pour les musiciens actuels de la compagnie, qui ne connaissent pas toutes les œuvres du répertoire, c’est aussi l’occasion de découvrir le patrimoine que les autres musiciens ont laissé, parfois à une autre époque et dans un autre format. Concernant le style, on va aller du jazz à la musique traditionnelle, en passant par la musique contemporaine, avec régulièrement des chants. Nous interprétons la musique des autres tout en glissant certains morceaux qui nous sont propres.

Comment peut-on se procurer cet album et les anciens disques ?

Christian : Il est possible de commander nos albums sur le site de Résonance Contemporaine. Le nouveau cd sera également disponible sur les principaux points de vente en ligne et dans certaines boutiques grâce à notre label italien EMA Vinci. Il sera disponible en version physique et en version dématérialisée (téléchargeable).

Avez-vous des projets particuliers pour les mois à venir ?

Christian : Nous préparons un projet de prestations en solo et en duo par des musiciens en situation de handicap dans des appartements de personnes en situation de handicap accompagnées par le SAVS (service d’aide à la vie sociale) et vivant dans la cité de Bourg-en-Bresse. Nous allons demander à ces personnes si elles sont d’accord pour que nous venions jouer chez elles nos créations. Ce projet devrait voir le jour en mars-avril 2020 à l’occasion de l’événement « 7Bis Chemin de Traverse » à Bourg-en-Bresse.

Alain : C’est une manière pour nous de faire la démarche inverse pour ces personnes qui n’ont pas forcément d’accès facilité à la culture dans toutes ses dimensions. L’idée étant de se dire : « Amenons directement les concerts dans leurs appartements ». Pour chaque concert donné, la personne qui reçoit le concert pourra inviter qui elle voudra pour venir participer à ce moment de spectacle. Si ce concept fonctionne bien, nous envisagerons de le transposer dans d’autres villes.

Dominique : Parmi les autres projets, on peut aussi citer le spectacle « Archipélique » que l’on a déjà joué plusieurs fois et qui sera repris en janvier à Lyon, à Bellay dans l’Ain, puis à Roanne. Il y a aussi « L’Oracle de papier » : c’est une pièce de théâtre conçue avec du papier, que l’on froisse, que l’on déchire, que l’on frotte… une pièce jouée en commun avec le compositeur belge Baudouin de Jaer, la plasticienne Salomé Fauc et la chanteuse lyrique Laura Tejeda. Le plateau devient au fil du spectacle une immense fresque. Ce spectacle sera redonné au mois de mai à Roanne et en Belgique, et peut-être à d’autres endroits.

Plus d’infos sur les musiciens en situation de handicap des Percussions de Treffort sur le site : www.resonancecontemporaine.org

En photo principale : De gauche à droite : Christian Seux, Jean-Pierre Barbosa da Silva, Dominique Bataillard, Mathieu Convert et Alain Goudard.